Assis, le prêtre rasta des favelas de São Paulo

« Alors mon frère, ça va ? » C’est d’une joyeuse accolade que le Père Assis nous accueille ce matin-là. Et ça sonne plutôt juste : à 31 ans, Assis a plus l’âge d’être notre frère que notre Père.

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Depuis 2 ans, il partage la vie des habitants de la favela Vila Prudente. Missionnaire de l’Ordre religieux du Saint Esprit, il y est arrivé juste après son ordination au Cap Vert, son île d’origine.

Mais il est long le chemin qui l’a conduit de l’Afrique jusqu’au Brésil. Tout petit, une question l’obnubilait : que pouvait-il bien y avoir au-delà de cette mer sur laquelle il faisait ricocher des galets en rêvant… Bachelier a 16 ans, il s’est empressé de traverser l’océan pour le découvrir.

Direction le Portugal, pour y étudier la philosophie. Trois ans plus tard, sa licence en poche, il repousse l’horizon encore plus loin et s’envole pour un stage d’un an et demi en Amazonie. Il y fait alors la connaissance des pères jésuites de l’Ordre du Saint Esprit et…c’est le déclic ! A 21 ans, Assis décide de rentrer dans les ordres. Et c’est en France – pays dont il ne parle pas encore la langue – qu’il choisit de faire son séminaire. Six années de théologie, suivies d’un master à La Catho, pendant lesquelles il fera, tous les jours, le trajet de la cité d’Aulnay-Sous-Bois au très chic Saint-Germain-des-Prés. Ses plus belles années se souvient-il en souriant.

« Enfant du 9-3 », il l’est resté dans son cœur. Et de la banlieue, il a gardé certains codes. Vestimentaires notamment. S’il a dû couper ses dreadlocks pour son ordination, il a conservé son bonnet rasta multicolore et ses t-shirts à l’effigie de Bob Marley. Mais ce sont bien des croix qu’il porte autour du cou et à ses doigts.

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Car six fois par semaine, Assis célèbre la messe dans la petite église du quartier. Les habitants de la favela s’y pressent en masse pour l’écouter prêcher. En seulement deux ans, il a su gagner leur confiance mais aussi leur affection. C’est avec eux qu’il danse la samba le soir, joue au football le dimanche, et lors des enterrements ou des mariages, derrière l’autel, il est le premier à pleurer.

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Dans les ruelles de la favela, les passants le saluent ou l’arrêtent pour lui donner des nouvelles, lui demander conseil. Ici, plus que le Père, il est le grand-frère, l’ami, le guide, le mentor, l’exutoire aussi parfois. Il connaît individuellement chaque famille, chaque enfant.

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À son arrivée dans la favela en 2012, en plus de tenir la paroisse, Assis avait également pour mission de développer le « Centre Culturel ». Fondé en 1990 par le Père Patrick – premier spiritain de la favela – le bâtiment est attenant à l’association française Arca do Saber. Les deux organismes se partagent la garde des enfants de la favela, lorsqu’ils ne sont pas à l’école.

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Comme chez Arca, les enfants s’initient à la musique, la danse, la chanson, mais la marque de fabrique du Centre, c’est surtout la mosaïque. Assis a mis en place un programme haut en couleurs. Son objectif : recouvrir les murs de la favela d’œuvres multicolores. Et tout le monde met la main à la pâte. Avec les moyens du bord : des bouteilles vides ou des morceaux de céramiques retrouvés dans les poubelles. Sur certains murs, il a fait inscrire la devise de la favela : « Lutter toujours, Vaincre peut-être, Renoncer jamais ».

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Il veut transformer le visage du quartier. Le meilleur moyen, selon lui, de donner aux enfants une raison d’être fiers de là d’où ils viennent. Car, estampillés « favela », rares sont ceux qui osent en sortir. Mais Assis leur apprend qu’ils valent tout autant que ceux qui sont nés dans les quartiers chics. Il les encourage à voir plus loin, à prendre leur place, à s’approprier le monde. Comme, lorsqu’à 16 ans, il s’est octroyé le droit de savoir ce qu’il y avait de l’autre côté de son océan. Aux plus sceptiques, il cite Saint-Paul, dans son passage préféré de la bible : « je suis devenu citoyen du monde ».

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Et il sermonne aussi bien les enfants que leurs parents. Le jour où, lors d’une descente de la police, il a vu un trafiquant cacher la drogue dans le Centre Culturel au milieu des enfants, Assis a vu rouge. Les policiers repartis, il est allé parler au chef du réseau. « Utiliser le Centre comme cachette, c’est le mettre en péril. Tu ne peux pas faire ça. ». Alors, devant lui, le caïd a convoqué ses hommes et leur a fait promettre de ne jamais recommencer. Parce que « tu sais Père Assis, c’est bien ce que tu fais pour les enfants. Moi, mon fils, je ne veux pas qu’il tourne comme moi. Je veux qu’il devienne quelqu’un de bien ».

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Pourtant, si son action est même respectée par les narcotrafiquants, elle n’est pas au goût de tout le monde. Récemment, il a pris la décision de supprimer son compte Facebook pour ne plus avoir à lire les messages virulents qu’il recevait d’outre-Atlantique. Il paraît qu’à Rome on ne fait pas la messe en habits multicolores…

Assis a beau avoir un bonnet rasta sur la tête, il n’en n’est pas moins un modèle de droiture. Il a vécu au cœur des endroits dans lesquels il est facile de basculer du mauvais côté. De sombrer dans la violence, la délinquance, l’argent facile. Mais son cœur est resté honnête. « Tu sais, la vie c’est un choix. Quand on en fait un, il faut s’y tenir jusqu’au bout. Et alors, comme on dit chez moi, Hakuna matata ! »

Son secret pour garder la tête froide ? Se lever à 5h30 tous les matins pour courir. Mais aussi s’aérer l’esprit. « Être prêtre, ça ne veut pas dire s’enfermer dans sa paroisse » nous explique-t-il. « Il faut sortir, aller voir ailleurs, prendre du bon temps avec des amis ». Alors tous les mardis, après la messe de 18h, il va écouter du reggae dans son bar favori. Parce que Bob Marley aussi, c’est une religion de l’amour.

D’ailleurs, ça tombe bien : aujourd’hui, on est mardi. « Vous venez avec moi ? ».

Oh que oui. Et Hakuna matata !

Charlotte.

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