A São Paulo, rendez-vous dans la « favela des français »

Lorsqu’on en tape l’adresse sur Google Maps, c’est une étendue grise qui s’affiche à l’écran. Les habitations s’enfilant de manière anarchique, la favela de Vila Prudente n’existe pas pour le géant du web.

_DSC3725Pourtant, construite à partir des années 1940, c’est l’une des plus anciennes de São Paulo. Au fil des années, les 1 500 familles du quartier ont fini par n’en former qu’une seule. La « comunidad » comme ils aiment l’appeler. Un mot qui résonne de manière bien plus positive que « favela » dans la bouche des brésiliens.

Car, bien loin des clichés, si l’on en connaît les codes et en respecte les règles, la violence n’est pas maîtresse dans les rues sombres de Vila Prudente. Il y a bien quelques trafiquants de drogue et de régulières descentes de police, mais la majorité des habitants gagne sa vie honnêtement.

Ici, la pauvreté est plus intellectuelle que matérielle. L’école publique affiche des résultats catastrophiques, et les cours n’étant dispensés qu’une seule partie de la journée, les enfants se retrouvent souvent livrés à eux-mêmes en dehors des salles de classe. Il faut alors peu de temps aux vices de la rue pour les séduire : rares sont ceux qui continuent l’école au-delà de 13 ou 14 ans.

Pour ceux-là, il est déjà trop tard. Mais pour les plus petits, il y a encore des raisons d’espérer. Comment ? En leur offrant, dès leur plus jeune âge, un endroit sécurisé dans lequel se rendre lorsqu’ils ne sont pas à l’école. Mais surtout en leur ouvrant de nouveaux horizons et en éveillant leur curiosité à travers diverses activités. Une fois devenus grands, ils auront ainsi la possibilité de faire un autre choix que celui de la rue.

C’était le raisonnement de Soeur Bernadette, missionnée française, résidant à Vila Prudente, lorsqu’elle a commencé, au début des années 2000, à recueillir quelques enfants dans l’église du quartier.

_DSC3805Avec le temps, le nombre de petits grandissant, l’espace a manqué. Alors, faute de mieux, Bernadette a ouvert une crèche de fortune dans sa petite maison de briques. Des femmes du coin mais aussi des quartiers plus chics sont venues lui prêter main forte. Trois françaises notamment. Envoyée au Salvador pour une nouvelle mission, c’est à elles que Bernadette confiera, quelques années plus tard, sa maison, mais surtout son projet.

Elles sont femmes d’expatriés, « en mal d’occupation et désireuses de faire leur BA », comme elles nous le racontent en riant. Pourtant le travail accompli n’en n’est pas moins impressionnant. De l’initiative isolée de Bernadette, elles ont fait l’une des associations les plus actives de São Paulo : « Arca do Saber ». L’arche du savoir.

0O0A5469La petite maison en briques branlantes de Bernadette a été rasée et, à sa place, c’est aujourd’hui un bâtiment de trois étages qui trône fièrement en face de la ligne de chemin de fer de Vila Prudente.

Une centaine d’enfants s’y relayent matin et après-midi, avant ou après l’école. Le planning est varié : peinture, musique, danse, et soutien scolaire bien sûr. L’objectif est double : sortir les enfants des rues évidemment, mais, surtout, leur permettre de prendre confiance en eux, en les aidant à progresser à l’école mais aussi en s’illustrant dans des activités artistiques ou sportives.

0O0A5404Au fil des années, le nombre de bénévoles a grossi. Ils sont aujourd’hui une quarantaine, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, à s’investir. Et tous, ont su faire jouer leur contact au profit de l’association. Peugeot, Degrémont, Air France. Nombreuses sont les entreprises françaises basées à São Paulo, qui participent au projet. Et ce n’est pas tout : le Consulat, l’Alliance française mais aussi le lycée français ont été embrigadés ! En somme, Arca, c’est un peu le passage obligé pour tout nouvel arrivant français voulant s’intégrer à la communauté d’expatriés.

Vision presque surréaliste, au premier abord, que de voir ce groupe de jolies femmes apprêtées, se frayer un chemin entre les ruelles crasseuses de la favela. À son entrée, une sentinelle, talkie-walkie en main, les salue d’un hochement de tête. Elles ne font même plus attention à l’arme accrochée à sa ceinture. Ici, la seule chose qui compte, c’est d’assurer un avenir aux enfants.

0O0A5483Et tant qu’à assumer, la carte française a été jouée jusqu’au bout. Dans les bibliothèques, des livres en français et en portugais se partagent les étagères. Sur le mur de l’entrée, une citation de Victor Hugo a été peinte en grosses lettres noires. Dans les cours de danse, on apprend aussi bien la capoeira que le French cancan. Et, trois fois par semaine, les enfants suivent des cours de français. Les parents en sont ravis : maitriser les rudiments de la langue de Molière est un signe évident d’élévation sociale.

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D’ailleurs, lorsque une maman venue chercher son fils au centre, l’entend lancer à la volée un « au revoir » général, elle sourit et glisse avec une bouffée de fierté : « Ici, c’est la favela des Français ».

Charlotte.

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