Passionné par la photo depuis son plus jeune âge – amour qu’il a hérité de son père et de son grand-père – Philippe Théard commence très tôt à grimper dans les arbres de Saint-Malo, sa ville d’origine, pour capturer des oiseaux à l’écran.
En grandissant, il décide de faire de cette passion, son métier. Il quitte alors la Bretagne pour suivre ses études au Centre de Formation des Journalistes (CFJ) à Paris. Quand le moment vient d’effectuer son service militaire, il est affecté à l’ECPA (l’Etablissement Cinématographique et Photographique des Armées), qui, à sa sortie, lui propose un contrat civil de photographe.
Sa vie prend alors un autre tournant. Affilié à la Défense, il sillonne le monde pour en rapporter des clichés. La plupart du temps dans les zones de conflits : de l’Afghanistan au Guatemala, de porte-avions en sous marins nucléaires d’attaque.
C’est les yeux rieurs que, des années plus tard, il nous raconte, comme si c’était la chose la plus naturelle du monde, comment il s’est faufilé entre les tirs de snipers à Beyrouth pendant la guerre du Liban, a sauté sur un hôpital parachuté au Tchad, survécu à un accident d’hélicoptère en Espagne, passé illégalement la frontière birmane pour rencontrer les insurgés de l’ethnie Karen, séjourné deux ans avec l’une des dernières tribus d’Amazonie, résisté 5 jours sur une ile déserte de l’archipel Sulu au large des Philippines en mangeant des noix de cocos, ou encore « seulement » atteint le 3e camp de base de l’Everest à 6400 mètres d’altitude.
En 1985, il embarque sur le Victor Schoelcher, un navire prêté par le gouvernement à Médecins du Monde. Ce groupe de docteurs ayant fait scission avec Médecins Sans Frontières et s’illustrant en mer de Chine depuis 1979 en venant au secours des « boat peoples ». Car, depuis la chute de Saïgon en 1975, et avec elle, la fin de la guerre du Vietnam, des milliers de personnes fuient le pays et le nouveau régime communiste. La plupart du temps par la mer. Mais les embarcations de fortune font souvent naufrage ou sont refoulées en haute mer par les autorités des pays alentours qui n’en veulent pas sur leurs territoires. Les « French Doctors » tournent dans les eaux internationales pour récupérer les naufragés ou les bateaux à la dérive. Parmi eux, Alain Deloche et Eric Cheysson. Ces deux chirurgiens qui, quelques années plus tard, créeront La Chaîne de l’Espoir, une branche de Médecins du Monde dédiée aux enfants, avant qu’elle ne devienne indépendante en 1994.
Les 3 mois de la mission seront amplement suffisants pour créer de solides liens d’amitiés entre le reporter et les deux médecins. Et c’est sur le navire que Philippe a une révélation. En voyant une femme se faire broyer les jambes entre le Victor Schoelcher et l’embarcation surchargée dont elle vient de tomber, il n’hésite pas : au lieu d’attraper son appareil photo, il plonge à l’eau. Témoigner n’est plus suffisant, il veut agir.
Il pénètre alors dans les camps de réfugiés qui se forment à l’arrivée des bateaux. Les gens s’y entassent dans des espaces minuscules pendant des mois, faméliques et malades, dans l’attente de pouvoir pénétrer sur les territoires. En Philippine, en Malaisie, mais aussi en Thaïlande.
A Bangkok, il réalise avec effroi que les habitants des bidonvilles vivent encore moins bien que les vietnamiens dans les camps. Et en particulier les enfants. Ces enfants si vulnérables qu’il considère comme l’avenir de la planète.
Il informe son ami Alain Deloche de la situation, et ensemble, ils décident de mettre en place des parrainages sous l’égide de La Chaîne de l’Espoir. Cette bourse mensuelle de quelques euros permettra aux petits de se rendre à l’école. Car la scolarisation reste encore la meilleure solution pour leur assurer un avenir et les tenir hors de portée des différents risques auxquels ils s’exposent, en particulier ceux des trafiquants d’enfants.
Pendant 6 ans, Philippe se partagera entre les bidonvilles, la France et ses missions de photographe. Son âme d’aventurier le pousse parfois à faire des folies. Il organise seul des expéditions commando dans des usines pour sauver des enfants qui, terrorisés n’osent pas en sortir pour se réfugier dans son camion. Quelques courses poursuites plus tard, ce ne sont plus que des bons souvenirs.
Au bout de quelques années, il réalise toutefois que la pauvreté ne vient pas des bidonvilles. La plupart des familles qui y vivent sont issues du Nord-Est du pays, et en particulier du Buri Ram, une province très pauvre, à 20 kilomètres de la frontière avec le Cambodge. En 1994, il décide de prendre le problème à la source et y dépose définitivement ses bagages.
Aidé par un réseau de professeurs sur place, les parrainages prennent alors une nouvelle dimension et ce sont bientôt des milliers d’enfants qui bénéficient de l’aide de La Chaîne de l’Espoir. Mais Philippe va encore plus loin : en 2004, le « pavillon bleu » voit le jour. Une maison d’accueil qui s’occupe de recueillir les enfants abandonnés et les orphelins.
A 62 ans, il coule aujourd’hui des jours paisibles, loin des tirs de snipers, rendant régulièrement visite à tous ces enfants qu’il peut se targuer d’avoir sauvés et qui l’appellent « grand-père ».
Et l’appareil photo dans tout ça ? Il continue à le sortir de temps en temps. Mais seulement pour les oiseaux.
Charlotte.