Le paradoxe de l’éducation dans les communautés Mapuches

Avez-vous déjà entendu parler des Mapuches ? Non ?

Rien d’étonnant à cela. Il y a encore quelques jours, nous ignorions jusqu’à leur existence.

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Mapuche_du_Chili_et_d'Argentine« Les gens de la terre » sont le peuple originaire de Patagonie. Leur territoire s’étendait autrefois de part et d’autre de la cordillère des Andes, aussi bien du côté chilien que du côté argentin. Pourchassés par les conquistadors espagnols, ils furent contraints d’établir leurs campements toujours plus hauts dans les montagnes. Aujourd’hui, ils sont encore plus de 800 000 à y vivre, faisant perdurer avec eux, ce qui constitue les derniers restes authentiques de la culture amérindienne.

Vivant des – souvent maigres – rendements de leurs terres, coupés de toute technologie, les Mapuches rythment leur vie sur les cycles du soleil. La langue « tehuelche » ne s’écrivant pas, c’est à l’oral que se transmettent leurs rites et leurs mythes. La pérennité de leur peuple est donc perpétuellement remise entre les mains des jeunes générations : c’est à elles qu’incombe la tâche de faire perdurer le savoir de leurs ancêtres.

En 1979, la « Fundación Cruzada Patagonica » s’est établie dans la petite ville de Junin de Los Andes, dans le nord de la Patagonie argentine. Son but : rendre l’éducation accessible au plus grand nombre. Car au milieu des immenses steppes balayées par le vent, il n’est pas rare que la première école se situe à bien des kilomètres des petits villages isolés, aussi nombreux soient-ils. Ils sont donc peu, les enfants des campagnes qui bénéficient d’une instruction de qualité.

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A ceux des communautés mapuches de la région, elle propose des places gratuites dans sa nouvelle pension. Les familles, prises au dépourvu, font d’abord preuve de méfiance. Laisser partir leurs petits, cela signifie mettre à mal la transmission de leur culture, mais aussi le nombre de travailleurs dans les champs.

Mais la Fundación ne se laisse pas décourager. Pour convaincre les familles, elle décide de mettre en place un programme inédit. En plus des cours théoriques de mathématiques ou d’anglais, les élèves devront également s’adonner à de nombreux exercices pratiques : cultiver les légumes, prendre soin du bétail ou encore produire du fromage. Une fois rentrés chez eux, ils seront alors en mesure de transmettre ces nouvelles techniques à leurs communautés. Les conditions de vie étant très rudes dans les montagnes, en particulier l’hiver, ces connaissances ont valeur de survie pour les descendants des amérindiens.

Cela a achevé de convaincre les derniers bastions de résistance. Sur les 180 élèves instruits gratuitement par la Fundación, 70 sont aujourd’hui mapuches.

Mais, très vite, un problème inattendu a vu le jour. L’école ayant étendu leurs horizons, rares sont les enfants qui désirent retourner vivre dans les montagnes. Ils sont au contraire nombreux à vouloir se rendre en ville pour continuer leurs études à l’université.

Karloss a 18 ans. Etre Mapuche est pour lui une grande fierté : celle d’être le dernier dépositaire de la culture ancestrale d’Amérique du Sud. Dans un an, il quittera l’école. Il sait que ses parents l’attendent pour reprendre la terre de ses aïeux. Mais lui rêve de devenir ingénieur informatique. Et pour cela, il faut aller vivre en ville. Autrement dit, faire le choix de la modernité, contre celui de la tradition Mapuche.

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Antoine et Karloss dans les champs

Alors que faire ? Que faire lorsqu’on a appris à lire et à écrire mais que la culture de ses ancêtres ne se transmet qu’à l’oral ? Que l’on rêve de pouvoir travailler sur un ordinateur alors que l’électricité est une manne inconnue dans les montagnes ? Que l’instruction reçue dans le but de faire pérenniser sa propre culture peut également en signer l’arrêt de mort ?

La situation des Mapuches est inédite. C’est la première fois que nous entrevoyons l’éducation comme un paradoxe. Celui de constituer à la fois une promesse d’avenir inespérée et la condamnation d’une culture millénaire.

Charlotte.