Depuis notre départ de France il y a presque un mois, nous vous avons beaucoup abreuvés d’images et de récits de voyages. C’était sans oublier qu’un but plus significatif nous fait avancer. Il s’agit évidemment de notre projet pour les enfants de La Chaîne de l’Espoir, dont voici le récit de la deuxième pierre.
Rappelons le d’abord, nous avons construit notre tour du monde en partenariat avec l’association française La Chaine de l’Espoir, qui œuvre pour la petite enfance dans plus de trente pays grâce à ses hôpitaux et ses écoles.
S’il est prévu que nous rendions visite à certaines de leurs antennes locales, nous avons surtout décidé de dédier notre voyage à faire passer un message d’espoir à leurs petits malades. Comment ? En demandant de l’aide à tous les enfants qui croiseront notre route lors des dix mois de notre périple. Peu importe la forme que prennent leurs messages, ils sont élaborés dans la langue de l’enfance : dessins, spectacles, chants, danses, et bien d’autres.
En faisant participer tous ces petits êtres en devenir au même projet, sans distinction d’âge, d’origine, de niveau de vie ou d’état de santé, nous espérons surtout pouvoir prendre mais aussi transmettre une jolie leçon de solidarité, d’universalité et, bien sûr, d’espoir.
En France, avant notre départ, nous avions passé une semaine dans un centre aéré de banlieue parisienne. Les enfants avaient redoublé d’efforts et d’imagination pour mettre sur pied un petit spectacle en ombres chinoises, inspiré des Fables de La Fontaine.
Arrivés en Chine, nous avons rendez-vous dans l’école primaire « Wen He », dans la banlieue ouvrière du sud de Shanghai. Ici les enfants ont entre 3 et 12 ans, et après les cours, la possibilité leur est donnée d’exprimer leur créativité grâce à l’atelier mis en place par l’association Room13. Depuis 1994, cet organisme oeuvre à mettre en place un réseau, maintenant mondial, de studios artistiques dans les écoles ou les orphelinats pour permettre aux enfants d’accéder à l’art et la création, et ainsi peut-être, à terme, de rejoindre leur communauté de jeunes artistes. Cela correspondait donc parfaitement à notre projet.
Nous convenons de trois après-midi de tournage avec les enfants de la classe de Madame Zhao, l’équivalent de ce que nous appellerions en France une prof d’art plastique. Elle ne parle pas anglais, et – cela n’a pas changé, malheureusement – nous ne parlons pas chinois. Les deux premiers jours, nous serons donc accompagnés par Music et Sunny, deux jeunes femmes chinoises aux prénoms anglicisés, travaillant pour Room13. Nous assisterons aux travaux de trois groupes d’âges différents : les 7-8 ans, les 9-10 ans et les 11-12 ans. A l’issue de ces trois jours, nous repartirons avec les créations des enfants, à donner en cadeau aux petits malades de La Chaîne de l’Espoir.
Premier jour de tournage.
Nous arrivons devant un bâtiment très coloré, après 1h de voiture depuis le centre de Shanghai. L’ambiance nous plaît. C’est la récréation, les enfants, curieux viennent à notre rencontre en riant. Ils nous lancent des phrases en chinois, auxquelles nous répondons à grand renfort de sourires et de « ni hao » (« bonjour » en chinois).
Aujourd’hui, dans la classe de Madame Zhao, nous sommes avec les 7-8 ans. Ils ont 1h30 pour fabriquer un cadre en carton, au sein duquel ils glisseront leur photo. A leur disposition : feutres, pastels, crayons de couleurs, papier crépon, cartons multicolores, colle et scotch. De quoi leur permettre d’être inventifs !
Au bout de la table, un petit garçon m’intrigue par les sourires qu’il me lance depuis son arrivée. Je m’assieds à côté de lui. « My name is Peter » me dit-il alors. Incroyable, il parlerait donc quelques mots d’anglais ! Je m’arme d’une feuille et d’un stylo et me met en tête d’essayer de communiquer avec lui. Je m’applique à dessiner des formes qu’il reconnaît en anglais : « apple », « house », « sun », « flower », etc. Il faut dire que mon niveau en dessin a arrêté d’évoluer à peu près à l’âge qu’il a aujourd’hui…
Le lendemain,
Nous avons convenu avec Madame Zhao, que ses élèves s’essaieraient à dessiner la « différence », et plus particulièrement celle des enfants du reste du monde. Elle commence par les interroger sur la manière dont ils se les représentent. De quelle couleur est leur peau, qu’en est-il de leurs yeux, et de leurs cheveux ? Les réponses fusent, parfois un peu extravagantes : Ils ont la peau blanche ! Ou noire ! Nous, nous avons la peau jaune. Ils ont des grands yeux ! Bleus ! Oranges !
Oranges ?!
Puis madame Zhao pose son ordinateur sur la table et leur montre des portraits glanés sur internet : une petite fille rousse aux yeux bleus, des enfants à la peau noire, certains aux cheveux frisés. Les petits éclatent de rire ou de surprise à chaque nouvelle photo, c’est un spectacle étonnant et ravissant.
A leur tour maintenant de faire un portrait d’un enfant de l’autre bout du monde. Tandis qu’ils se lancent sur leurs feuilles à dessin, je prends en main mon calepin et me positionne en observatrice, Sunny à mes côtés pour m’aider à traduire ce que disent les enfants de leurs créations.
Je remarque très vite que ce sont d’abord des cheveux bouclés qui apparaissent sur les feuilles ou de grands yeux ronds qu’ils colorent en vert, gris ou bleu. Dans les esprits des enfants, à l’étranger, exit les cheveux raides et les yeux bridés !
En les voyant tous si appliqués, je me demande quel est le moteur qui les pousse à faire durer leur journée pour venir dessiner dans le cours de Madame Zhao.
Sunny leur pose la question et les petits lèvent la main pour lui répondre : « Dessiner me donne l’impression d’être plus intelligent », « C’est intéressant », « C’est un travail créatif », « Moi j’adore utiliser mes mains, le dessin c’est ma passion ». Puis cette petite fille timide qui parle d’une toute petite voix : « Moi j’aime le dessin car cela me permet de donner une forme à la vie ».
Mais le plus intéressant est sans doute de voir les enfants donner un contexte et des détails à leurs créations. Une petite fille dessine sur sa feuille une nuit étoilée car elle aime le soir regarder le ciel avant de se coucher. Une autre crayonne un arbre afin d’éviter les coups de soleil à sa création de papier. Une autre encore trace en alphabet latin les lettres « AILCE » (Alice). C’est le prénom qu’elle veut donner à la petite fille dont elle est en train de dessiner les contours, car c’est ainsi que se prénomme l’héroïne de son manuel d’anglais, sa matière préférée. Les garçons, eux, font naitre des portes de châteaux forts ou des forêts. Je demande à l’un d’eux si le « S » qu’il a dessiné sur le t-shirt de son modèle est celui de « Superman ». « Non, me répond Sunny, il l’a juste écrit pour faire joli. Ici, les enfants n’ont jamais entendu parler de Superman ». Evidemment… Que je suis bête!
Je jette un œil à Antoine qui commence à suer à grosses gouttes en s’activant d’un bout à l’autre de la pièce avec sa caméra, son pied et ses deux objectifs. Le spectacle n’échappe pas aux enfants qui, un par un, se lèvent de la table pour s’approcher d’abord timidement, puis se mettre à franchement rigoler devant l’écran qui retranscrit leurs camarades en pleine réalisation. Un joyeux moment de complicité alors qu’Antoine et les enfants ne parlent pourtant pas un mot de la même langue.
Soudain, un doute me vient à l’esprit. Les enfants ont l’air si fiers de leur création, savent-ils qu’ils ne peuvent pas les conserver ? Sunny leur pose la question en chinois tandis que j’essaye de décrypter leurs exclamations : bien sûr qu’ils veulent envoyer leurs dessins aux enfants malades de l’autre bout du monde, ils espèrent d’ailleurs qu’ils pourront tous se rétablir vite et surtout qu’ils seront en mesure d’assister au festival de printemps avec leurs parents.
Le festival de printemps, quèsaco ? C’est l’équivalent de Noël en Chine m’explique Sunny. Ici, les enfants ne sont pas habitués à voir très souvent leurs parents qui, ouvriers, travaillent jusque tard le soir. Le festival de printemps est un moment d’autant plus important pour eux qu’il symbolise les retrouvailles en famille.
Au bout de quelques minutes, je m’étonne de voir des caractères chinois apparaître sur les dessins. Qu’est-ce que cela signifie ? Sunny me traduit. Sur celui-ci, il y a écrit : « bon rétablissement », sur celui-là « j’espère que tu seras heureux pour toujours », sur un autre « puisses-tu être en sécurité pour toujours » ou encore « j’espère que tout ira bien ».
Mon cœur se serre. Ainsi, c’est possible. Nous n’avions peut-être pas si mal vu que ça : faire passer des messages d’espoir entre des enfants, d’un bout à l’autre du monde, c’est possible !
Troisième jour de tournage.
Cette fois-ci nous sommes seuls, sans interprètes pour nous guider. La journée s’annonce musclée, il va falloir faire preuve d’imagination. Nous retrouvons la maîtresse un peu plus tôt que les jours passés, afin de saisir en images l’atmosphère de l’école. Nous arrivons en plein cours de gym sur le terrain de sport. Les enfants, maintenant habitués à nous voir, nous saluent en cœur : « ni hao », « hello » ! Puis nous allons assister à un cours de musique, et nous rendons également dans les classes des plus petits. Bientôt, la cloche sonne, c’est l’heure de la récréation. Antoine se rend dans la cour, pied et caméra sous le bras afin de prendre quelques plans des enfants qui jouent. Raté : à peine l’aperçoivent-ils, qu’ils se ruent sur lui en riant, lui parlant en chinois, le hélant, l’agrippant. J’assiste à la scène de loin, amusée. Antoine semble tout de même un peu embarrassé. Finalement, c’est le gardien de l’école qui viendra dissiper l’attroupement.
La récréation terminée, nous rejoignons la classe de madame Zhao. L’exercice du jour consiste à dessiner sa maison de rêve. Les élèves sont aujourd’hui âgés de 12 ans, et ils ne pipent mots. J’en suis toute étonnée. Les enfants perdraient-ils donc de leur spontanéité en grandissant ? Ils ont l’air si sérieux. Heureusement, ils n’en n’ont pas perdu leur créativité pour autant. Nous voyons bientôt des maisons farfelues prendre vie sur le papier : maison-bateau, maison-cœur, maison-skate-board, maison volante, etc.
Une fois le cours terminé et les enfants rentrés chez eux, Madame Zhao, nous remet les créations des trois derniers jours. J’y vois presque un moment solennel.
Je balbutie maladroitement un « xie xie ni » (merci à vous) en souriant de toutes mes dents.
Cette trentaine de dessins à remettre aux enfants de La Chaîne de l’Espoir est sans conteste le plus beau cadeau de notre début de voyage.
Charlotte.