Entre deux journées de tournage à la Biblioteca Popular de Santiago, nous avons sauté dans un bus, le temps d’une escale colorée à Valparaiso.
Située à seulement 120 kilomètres de la trépidante capitale chilienne, la ville fondée en 1544, a longtemps joué le rôle de moteur économique du pays, suscitant la fierté de tout son peuple.
Bordée par la Cordillère des Andes, ses 45 cerros – collines – plongent directement dans l’une des plus grandes baies naturelles du Pacifique. Ce qui fit d’elle un port mondial de premier plan au XIXe siècle et lui donna son nom espagnol : « vallée de paradis ».
Les marins du monde entier y faisaient escale après l’éprouvant passage du détroit de Magellan. Reprenant des forces entre les bras des jeunes filles se languissant sur la jetée, profitant du spectacle extraordinaire des arcs-en-ciel projetés par les centaines de maisons colorées.
Attirés par le rayonnement international de la « petite San Francisco », des milliers d’immigrants abandonnèrent leurs lointaines contrées pour y établir leurs quartiers. Enrichissant au passage la ville d’un incroyable mix culturel. Comme le lierre monte aux murs sans difficultés, une architecture riche et variée vint lestement coloniser les ruelles en labyrinthes des différentes vallées.
Pablo Neruda lui-même profita de ce cadre exceptionnel pour rédiger quelques uns de ses vers les plus célèbres.
« Un point de la planète s’alluma minuscule…
Surgirent des navires pavoisés beaux comme des colombes de rêve…
Valparaiso scintilla dans la nuit de l’univers ».
Au fil des ans, la vibrante mégapole résista à de nombreux traumatismes: attaques pirates, tsunamis, puissants séismes. Mais ce fut finalement l’ouverture du canal de Panama en 1914 – rendant le passage du Cap Horn obsolète – qui la fit plier.
Délaissé par la flotte internationale, le centre névralgique de l’économie chilienne se déplaça naturellement à Santiago, et Valparaiso entama le long chemin de son inexorable déclin.
Aujourd’hui, si son quartier historique est inscrit au patrimoine mondial de l’UNESCO, tout dans la ville, fait penser à une glorieuse cité laissée à l’abandon.
Chiens errants, immeubles chancelants, elle n’a pas moins perdu son charme d’antan. D’antiques funiculaires grinçants s’escriment toujours à gravir péniblement les collines pentues des différents quartiers. À leurs sommets, trônent encore fièrement quelques bâtisses rayonnantes, ayant résisté à l’assaut du temps.
D’immenses porte-conteneurs s’aventurent encore dans la baie, se faisant charger avant d’entamer leur longue traversée contre les vents du Pacifique. Offrant, au passage, des plages de bronzage privilégiées à quelques otaries ravies, qui s’empressent de faire chauffer au soleil leurs ventres rebondis.
On ne stocke plus d’or sur les docks du vieux port, mais les nombreux graffiti venus recouvrir les façades des habitations sont les nouveaux trésors dont les porteños se targuent. Peut-être annoncent-ils un nouvel essor de la ville endormie, redonnant un peu d’éclat à la nacre encrassée de ce qui fut longtemps la « Perle du Pacifique ».
Charlotte.