Le salar d’Uyuni nous avait émerveillés, celui de San Pedro de Atacama nous a conquis.
Pourtant, si les hommes n’avaient pas déterminé l’imposant volcan Licancabur comme frontière naturelle, rien ne viendrait différencier le désert chilien de son homologue bolivien.
Ce sont les mêmes lagunes aux couleurs irréelles, les mêmes plaines salées asséchées par le temps, les mêmes roches volcaniques déchiquetées par le vent. Peut-être aussi les mêmes flamants roses qui voguent d’un lac à l’autre, franchissant les montagnes, ignorant les frontières.
Mais il y a quelque chose en plus à Atacama. Une sensation indescriptible. Presque infime. De l’ordre du recueillement. De la vallée de la Lune au salar de Tara, les files de touristes prennent des airs de pèlerins foulant miraculeusement la terre sacrée après une longue épopée.
Ils viennent rendre hommage à la mémoire du monde. Car, à Atacama, c’est le récit d’une petite apocalypse qui s’est figé.
Là, à l’aube de l’humanité, la Terre a grondé. Dans un bain de lave, ses entrailles se sont écartées. Pour accoucher de 7 000 kilomètres de vallées. L’épine dorsale du monde. La colonne vertébrale de la planète.
Des montagnes replètes, bombant fièrement l’échine face au soleil. Voilà des millénaires que leurs neiges lui résistent. Il paraît qu’elles sont éternelles. À côté, leurs frères volcaniques, un brin plus sulfureux.
Et partout autour, des cathédrales de sables. Minutieusement taillées par le vent, comme pour mieux sonner la naissance de ces géants. Ding dong. Vous entendez? C’est la roche qui craque, tourmentée. C’est la bise qui siffle, excitée.
En se déchirant, la Terre a beaucoup pleuré. De ce long effort, elle frémit parfois encore : quelques spasmes d’épuisement qu’on appelle « tremblements ». Ses larmes ont glissé en des cuvettes d’eau glacée, prisonnières des sols volcaniques depuis des années. D’autres se sont évaporées ; il n’en reste plus que la croûte salée.
Les hommes se succèdent inlassablement pour célébrer les nouveau-nés. Mais ils n’ont que quelques heures pour contempler le miracle avant de s’en aller. Car à des centaines de kilomètres autour, on ne voit que le désert. Sanctuaire de la Terre-mère, chaperon de la planète contre l’humanité. La vie ne s’y développe pas. La mort non plus. Entre ses dunes de sables, le temps s’est arrêté. Et il se tiendra encore là, inchangé, lorsque nous ne serons plus que la poussière qui fait vibrer le silence de son immensité. Les déserts sont immortels. Et nous ne pouvons que les traverser.
Charlotte & Antoine.