4h45. -10 degrés. Il faut bien qu’une main téméraire s’extirpe de sous les couvertures pour éteindre le réveil qui commence à s’énerver dans le noir.
On souffle. Nuage de buée. Brrr. « Fraîches » est un joli euphémisme pour décrire la rudesse des nuits dans le désert. Allez, un peu de courage. On compte jusqu’à 3… et hop on saute dans un jean rendu rigide par le froid. 1, 2, 3 couches de pulls, et 2 grosses chaussettes en poil d’alpaga. Ouf ça commence déjà à aller un peu mieux. Le sang circule à nouveau dans nos doigts de pieds. Ça valait bien qu’on se fasse un peu arnaquer sur le marché.
Dehors, la jeep ronronne dans l’obscurité. On s’y entasse à 7. Pas une minute à perdre ; on ne va tout de même pas louper le lever du roi soleil. Les pneus crissent, le moteur gronde, et nous, on grelotte à l’arrière, sur les banquettes en cuir usé, tressautant au rythme des pistes défoncées.
On est arrivé à temps. Nous voici à attendre bien sagement, au milieu des cratères enfumés par des geysers brûlants. Ça siffle en sortant. Colonnes de fumée indomptables. Signe que, sous le désert, la terre gronde. Contrairement au soleil, le volcan lui ne dort pas.
Ah mais cette fois ça y est ! Les premiers rayons viennent transpercer la fumée, illuminant au passage les montagnes aux toits enneigés. On reste un peu interdits. Figés devant le spectacle. Les yeux en l’air, la bouche ouverte, la goutte au nez. Le désert s’est réveillé.
On s’engouffre à nouveau sur la banquette arrière. Satisfaction intense. Un brin ridicule. Comme si le même spectacle ne se répétait pas chaque matin. Ici l’extraordinaire est l’ordinaire.
Salar de Uyuni, Salar de Chiguana, Laguna Colorada. Les paysages défilent sous nos yeux fascinés. Des fenêtres, impossible de décoller nos nez. Heureusement, on n’est pas trop enrhumés.
Couche de sel, couche de glaise, couche de souffre, couche de neige. Il semblerait qu’un peintre s’est amusé à disposer minutieusement tous les pigments de sa palette. En toile de fond, brille un ciel sans imperfection. Cela mériterait presque qu’on renomme les couleurs. Blanc sel, rouge volcan, jaune souffre.
Puis soudain des tâches roses à l’horizon. Le peintre a laissé libre cours à son imagination. Ce sont des flamants, dont on ne voit que les corps statiques, la tête occupée à dénicher quelques algues microscopiques. Touches de vie plantées au pied des volcans, comme mises exprès pour nous ramener à la réalité.
Mais oui, car au fait, où est-on ici ? Perdus au milieu de 12 500 km2 de fantastique. Face cachée de la lune, désert rouge de la planète Mars ? À moins que ce ne soit à ça que ressemblait la Terre à l’époque des dinosaures…
5 heures de l’après-midi. Epuisés d’avoir trop roulés. Quoi ? C’est vrai, ça fatigue de se faire brinquebaler !
On trouvera repos dans l’ambiance chaleureuse d’un gîte niché entre deux vallées de cactus.
Ici, on ne déroge pas à la règle : les maisons sont faites de briques de sel. Et à défaut d’en avoir sur la table, il suffit de gratter les murs pour assaisonner les assiettes du dîner.
Autour de la table : des allemands, des anglais, des français, des australiens et même quelques coréens. La Bolivie n’a jamais été aussi internationale que dans le désert.
On débouche une bouteille de vin chilien achetée au hasard avant le départ. Un peu râpeux. Plutôt buvable. Au moins ça réchauffe. Car la nuit tombe vite. Le froid avec. Tiens, ça nous avait presque manqué.
On brave tout de même un pied dehors. Silence. Pas une lumière ne luit dans le désert. Si ce n’est celui des étoiles. Car, à 4900 mètres, on est tout proche du ciel. Et, ici, plus que n’importe où ailleurs, brille la voie lactée. On y perdrait presque l’étoile du berger. Ah non, ouf, la voici !
Allez, bonne nuit.
Charlotte (texte) & Antoine (photos).