Il est moustachu et ventripotent le chauffeur de bus qui nous lance d’une voix tonitruante ce matin du 10 février : « Faites moi deux files! Ceux qui vont à Rio Grande d’un côté, ceux qui vont à El fin del Mundo de l’autre! »
El fin del Mundo?! Nous pensions seulement aller à Ushuaia.
Mais l’appellation est juste. Et se rendre au bout du monde, c’est tout une expédition.
Il faut entrer puis ressortir plusieurs fois du territoire chilien, emprunter un ferry grinçant pour traverser un bout du détroit de Magellan et se laisser brinquebaler pendant de longues heures sur les routes gravillonnantes qui zigzaguent entre les derniers monts enneigés de la cordillère des Andes.
Parmi eux, le glacier Martial. C’est à son pied que se love la renommée Ushuaia, dont les maisons de bois multicolores donnent des airs de petit village de montagne.
Mais ce n’est qu’une illusion. La ville, moderne et animée, s’étend sur plusieurs kilomètres.
Point de départ des expéditions pour l’Antarctique, on y renifle tout de suite le fumet de l’aventure. Les voyageurs grouillent, hardis ou réjouis, curieux ou admiratifs. Poussez les portes des cafés et vous les trouverez, le nez rougi par le froid, se passant les tasses de maté de mains en mains, et les histoires de banquise de bouches en bouches.
Nous tendons l’oreille, attentifs, même si, pour cette fois, le désert blanc nous attendra.
Nous nous contenterons d’une journée de marche dans le splendide parc national Tierra del Fuego.
Dotés d’un légendaire sens de l’orientation, nous réussirons même à nous perdre entre les pins turquoises de sa forêt. L’histoire dira qu’on a failli y mourir de froid. C’est plus drôle comme ça.
Car la bise glacée souffle fort sur cette Terre de Feu, nommée en souvenir des immenses bûchers que faisaient crépiter le peuple Yamana pour se réchauffer, avant d’être exterminé par les premiers colons à la fin du XIXe siècle.
Paysages cryogénisés, beauté figée, les flammes ne dansent plus sur les steppes glacées. Mais la magie est toujours maîtresse en son château dont deux géants se disputent la majesté : la montagne et l’océan.
Nous en sommes en tout cas repartis hypnotisés, une étrange sensation de vertige au ventre : celle d’avoir vu le bout du monde.
Charlotte.